R1 — La paresse comme phénomène émancipateur recherche
2023

La paresse comme phénomène émancipateur


Reprise de possession de l’espace et du temps par l’inertie


Cet essai, écrit dans le cadre du mémoire de fin d’étude, présente la paresse comme une prise de position personnelle qui mettrait en exergue certains dysfonctionnement sociétaux grâce à cette posture de mise à la marge vis-à-vis d’un contexte singulier. Cette écrit a pour but de nuancer la perception de la paresse et présente également l’importance de la considération de la posture inerte dans un soucis de compréhension d’un contexte particulier, sans pour autant lui retirer sa moralité capitale. Le sujet est abordé à travers l’étude de Co-op intérieur de Hannes Meyer, envisagé ici comme décor de l’habitat d’un paresseux. 


Dans une logique partagée par l’inconscient collectif, arrêter de paresser, c’est se mettre à travailler. À chaque époque, son vice paresseux, et le travail est la constante qui permet d’échapper à ce vice. État inconfortable dans toutes les situations, qu’elle soit provoquée ou non, la paresse est toujours une prise de position personnelle qui place un individu à la marge d’une société en fonction. Dans ce qu’elle entretient comme relation avec son contexte, la paresse n’est peut-être pas qu’un vice, bien que l’inactivité entendue puisse dégager a priori ces signes. Seulement, quand on se penche d’un peu plus près sur les raisons d’une telle posture, on se rend compte que loin de lui retirer nécessairement sa moralité capitale, elle est du moins plus nuancée que cela.

Le projet de Co-op Interieur s’intègre dans un contexte d’entre-deux guerre, période dense en réflexion sur la définition d’une architecture, d’un urbanisme ou plus largement d’un processus créatif nouveau. Dans un monde ou l’industrialisation et la mécanisation s’installe, les discours se croisent et se ressemblent sans pour autant que la résultante soit commune : la machine doit servir l’homme et lui permettre de moins travailler. Si la machine produit alors l’homme peut se permettre de moins travailler. Alors, avant la paresse il devient nécessaire de comprendre le contexte théorique de Hannes Meyer et d’orienter la réflexion sur l’absence de productivité.

Cette cellule met en scène un espace domestique sommaire en apparence, mais contenant en son sein l’essentiel des éléments permettant un retrait vis-à-vis de la collectivité. Dans la version rognée de l’image utilisée pour illustrer son article The New World, les éléments sont réduits au lit et au gramophone, la chaise étant rangée. Ce choix dans la composition fait passer l’analyse du lieu au-delà de la notion d’essentiel pour s’orienter sur ce qui serait principal. Le lit en tant qu’élément dédié au repos devient un élément illustrant un rapport au collectif. Dans le rapprochement de cet objet à la machine, une nouvelle dimension s’ouvre sur la question de la posture du paresseux, productif allongé ou oisif à son bureau...

Bien qu’elle soit un lieu de repli, une cellule individuelle n’est pas jamais si isolée qu’elle le prétend lorsqu’on la place dans notre monde actuel et que vient s’y glisser notre machine : l’ordinateur. D’une pièce, d’apparence opaque, s’ouvre une fenêtre virtuelle. Mais si l’on y pense, à l’époque de Meyer déjà, ce lieu se tourne vers l’extérieur. Un extérieur moderne régit par la collectivité, un monde standardisé sur l’objet et les loisirs, un temps où la machine, déjà, permettait d’écarter l’habitant de sa condition dans une époque où loisir et paresse se confondent. Mais alors, après un certain recul sur l’avènement de la machine, sa démocratisation et la standardisation éprouvée, que reste-t-il de l’efficience, ce rapport à l’essentiel ayant traversé les temps et idéologies ?

Et si Co-op Interieur était habité par un paresseux ?




Ecriture
Juliette Picherit
DirectionChristophe CamusJuryVincent GouezouParutionfévrier 2023LieuEcole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne
Rennes, FR
StatutAchevé
téléchargeable sur demande
© Juliette Picherit 2023 —  tous droits réservés